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Concilier PMA et travail

La loi Santé a autorisé les absences pour rendez-vous de procréation médicalement assistée. Mais cela ne règle pas tout.

Mener de front son job et sa bataille contre l’infertilité n’est jamais un fleuve tranquille. Audrey, elle, a fini par craquer. «J’ai parlé de mes démarches de fécondation in vitro (FIV ) à mon responsable qui a été immonde avec moi en me demandant de changer de centre, afin d’être plus proche du travail, et de ne pas ‘faire ça’ en fin de mois […]. Cumulé à la pression du boulot, c’était trop…» Quand la jeune femme poste son message, en quête de réconfort, sur un forum de «fivettes», la loi Santé de janvier 2016 est pourtant en vigueur depuis 2 ans. Celle-ci autorise les salariés en protocole de procréation médicalement assistée (PMA) à s’absenter pour leurs rendez-vous médicaux. De façon illimitée pour les femmes, et à trois reprises par tentative pour les hommes. 

Encore faut-il, pour bénéficier de ce droit, jouer la transparence avec son employeur. Et accepter ainsi de lui présenter des «certificats» de passage en assistance médicale à la procréation (AMP). Une condition qui fait de cette nouvelle protection un dispositif «à double tranchant», de l’aveu même l’association COLLECTIF BAMP! qui a milité pour sa mise en place.

L’arrêt de travail, denrée rare

L’Agence de biomédecine dénombre environ 145 000 tentatives de PMA par an en France. Un chiffre incluant les inséminations, les fécondations in vitro (FIV) et les transferts d’embryons congelés. Chacun de ces actes entraîne son lot de contraintes. Pour la femme (toujours la plus sollicitée dans le couple) il faut compter avec de multiples prises de sang et échographies matinales – non pas au «labo du coin», proche du domicile ou du travail, mais au centre où elle est suivie ; des injections à heure régulière le soir, généralement entre 18h et 19h30, à domicile ou dans un cabinet d’infirmerie ; une hospitalisation d’une journée pour ponction d’ovocytes en cas de FIV ; ainsi qu’une demi-journée pour le «transfert» des gamettes ou de(s) l'(es) embryon(s) dans l’utérus.  

Seule la ponction donne automatiquement lieu à un arrêt de travail. Étant donné la multiplicité et le caractère imprévisible des jours où il faut se rendre disponible, jongler avec ses congés payés et ses RTT se révèle vite insuffisant voire impossible. Difficile d’espérer se faire mettre au repos le temps du protocole par un généraliste compatissant. Les médecins sont invités à ne pas grever les caisses de la Sécu. Et la fabrication d’un bébé avec l’aide de docteurs n’est pas une maladie… 

Dans le couloir des services de PMA, des affiches le rappellent fréquemment: «on vient de me transférer un embryon ? Inutile de rester allongée ! Je peux mener une vie normale, faire les courses, une promenade, du sport sans choc, des galipettes sous la couette… et travailler.»  

Poussées à quitter l’entreprise

Si les femmes concernées ne sont pas des malades, elles sont néanmoins, en parallèle de leur job, engagées dans un «travail reproductif», selon les termes d’Irène-Lucile Hertzog, chercheuse associée au Centre d’études et de recherche sur les risques et les vulnérabilités (CERREeV) de l’Université de Caen, et auteure d’une thèse sur le sujet. Être au four et au moulin accroîtrait vertigineusement leur «charge mentale». Les tensions avec l’employeur seraient monnaie courante. Dans le privé, mais pas seulement.  

«Dans le public, ce n’est pas forcément mieux, explique Virginie Rio co-fondatrice de COLLECTIF BAMP!. Les salariées n’ont certes pas la peur de perdre leur emploi, mais craignent la stigmatisation et la mise au placard. On leur met souvent sous le nez, en guise de reproche, le principe de continuité du service public, qu’elles mettent à mal.»  

«Les salariées qui s’en sortent le moins bien sont celles des TPE, a constaté la docteure en sociologie, à l’occasion de ses travaux. Parmi les 32 femmes que j’ai pu entendre, trois ont été poussées à accepter une rupture conventionnelle [licenciement à l’amiable, ndlr]. Leurs absences fréquentes et imprévisibles, leurs retards, n’étaient pas du goût de leur direction. Aucune n’a saisi les prud’hommes, considérant qu’il fallait ‘mettre leur énergie dans leur projet de grossesse, pas dans un procès’.» Ces femmes ont néanmoins été interrogées avant la loi de 2016. Se seraient-elles appuyées sur cette nouvelle protection pour conserver leur poste ?  

«Ce n’est pas de ta faute, mais…»

Cadre dans une agence de publicité et de communication, Géraldine* a également perdu son boulot. «Ce n’est pas de ta faute, mais ça n’est pas gérable», s’est-elle vu annoncer. Ses arrêts et absences inopinées, qu’elle a mis sous le coup d’une vague maladie, ont eu raison de son job. «Quand on vous dit »demain, on vous transfère les embryons», vous devez le faire, même si le jour en question, vous êtes censée animer une réunion cruciale avec de gros clients. C’est ça le problème, se retrouver complètement assujetti à son corps et à son cycle.» 

Le cauchemar s’est répété alors qu’elle a retrouvé un poste équivalent dans une agence concurrente. «Opérée en urgence pour une grossesse extra-utérine, j’ai été arrêtée deux semaines. À mon retour, on m’a dit »on n’a pas de souci avec toi, mais si à chaque fois qu’il arrive un truc ça perturbe le service…» L’entreprise a mis fin à sa période d’essai.  

Géraldine pointe depuis huit mois à Pôle emploi, sans chercher de travail le temps d’assouvir son désir d’enfant, refusant de s’engager dans une énième situation inextricable. Son sort aurait-il été meilleur si elle avait joué carte sur table avec ses employeurs, en dévoilant son projet de grossesse ? «J’étais au courant de la loi de 2016, mais à chaque entretien d’embauche, on m’avait demandé si j’avais l’intention d’être enceinte. Si une maternité potentielle les ennuyait, j’imagine comment l’annonce d’une PMA aurait pu être accueillie», estime la jeune-femme.  

Exaspération et reproches ouverts

Les femmes préférant cacher leur projet se situent, selon la chercheuse Irène-Lucile Hertzog, aux deux bouts de l’échelle : parmi les moins et les plus diplômées. Les premières craignent particulièrement pour leur poste. La loi de 2016 constitue, pour elles, une vraie avancée. Les secondes ont surtout intériorisé l’image négative que la maternité peut renvoyer. «Lorsqu’elles sont sommées de se justifier à cause de leurs absences et des retards – et il y a toujours un moment où l’employeur leur envoie des signes d’exaspération ou leur fait des reproches ouverts -, elles évoquent invariablement un cas de maladie plutôt que ‘d’avouer’ qu’elles veulent avoir un enfant.» 

Dire l’intime ne coule jamais de source. Révéler de son couple, de ses fragilités… Les femmes seraient nombreuses à assimiler la transparence à un grand déballage. Amandine* a eu de la chance. Son employeur, à qui elle avait «tout dit» pour «éviter un climat de suspicion» lui a carrément proposé que l’infirmière la piquant tous les soirs vienne sur le lieu de travail. Un si bon accueil n’est pas fréquent. «J’ai utilisé mon droit aux absences, mais ce fut dur car on a contesté sa légitimité en avançant que la Fiv était un choix… «Affirmer qu’il s’agit d’un choix m’a fait mal», confie, amère, une salariée, sur le blog Don des Fées Mères.  

Souvent, aussi, la bienveillance initiale des employeurs tend à s’émousser au fur et à mesure que dure la PMA. Comme s’ils n’avaient pas conscience que ce parcours d’obstacles peut durer des années.  

Farida*, elle, a fait les frais du manque de discrétion de son patron. «Les gens n’arrêtaient pas de me poser des questions du genre »alors, t’en es où, ça fonctionne?», ce qui m’était assez pénible, relate-t-elle. Une collègue particulièrement indélicate n’arrêtait pas d’en rajouter avec sa propre grossesse.» Le genre de dommages collatéraux que seul choix de garder le silence permet d’éviter à coup sûr… 

* Les prénoms ont été modifiés pour respecter l’anonymat 

https://lentreprise.lexpress.fr/rh-management/droit-travail/concilier-pma-et-travail-la-galere_1994736.html

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